21 juillet 2024 - Écrivain et membre du comité exécutif du Comité International Pierre de Coubertin, George Hirthler estime que Paris 2024 permettra d’honorer l’influence grandissante de son fils prodigue, lui qui fut trop souvent oublié.
Les innovations de Paris 2024 vont sans nul doute marquer un tournant majeur dans l’histoire des Jeux Olympiques modernes. Rien d’aussi audacieux n’a jamais été tenté auparavant. L’éblouissante cérémonie d’ouverture sur la Seine, la parité parfaite et symbolique entre les hommes et les femmes, la beauté époustouflante des sites et des fan zones épousant les monuments inimitables de Paris vont émerveiller le monde et conquérir trois milliards de téléspectateurs.
Ironie du sort, le nom de l’homme qui en est à l’origine sera quasiment absent des festivités, comme c’est souvent le cas : il s’agit de Pierre de Coubertin, qui a restauré les Jeux Olympiques à Paris le 23 juin 1894, à l’âge de 31 ans. S’il sera évoqué par le président du CIO Thomas Bach, voire mentionné par quelques dignitaires et journalistes, le grand public ignorera que la plus grande célébration de l’humanité doit ses origines – et son succès mondial – au travail singulier d’un visionnaire du passé. Et pourtant, comme Paris le démontrera, ses idées et espoirs d’unir le monde dans l’amitié et la paix grâce au sport sont plus pertinents et urgents que jamais dans notre monde divisé.
L’écart abyssal entre son héritage et son anonymat est aussi vaste que les océans et continents qu’il a parcourus pour faire connaître le Mouvement olympique. De nos jours, en dehors d’un petit cercle d’historiens et d’admirateurs de l’Olympisme, le nom de Coubertin – et plus encore son histoire – sont tombés dans l’oubli. Effectuez une recherche sur les personnes les plus influentes du XIXe siècle sur Google : vous obtiendrez une liste de grands noms dont Abraham Lincoln, Charles Darwin, Alexander Graham Bell, Thomas Edison, Louis Pasteur, Marie Curie et Napoléon… mais Coubertin est rarement mentionné.
Pourtant, il apparaît évident que la pertinence, l’impact mondial, la puissance symbolique et la signification profonde de son héritage sont plus proéminents que jamais. Il mériterait d’apparaître sur cette liste. Quelques chiffres suffisent à prendre la mesure du colosse qu’il a créé. En ce moment, plus de 200 Comités Nationaux Olympiques se préparent à fêter le départ de leur délégation pour Paris. Environ 14 250 athlètes, entraîneurs et officiels se rendront dans la Ville lumière et s’installeront au village olympique pour deux semaines de compétitions magnifiques. Trente-deux Fédérations Internationales organiseront 329 épreuves, qui seront diffusées à des milliards de personnes via tous les canaux médiatiques modernes.
Sur le terrain, 4 000 personnes – épaulées par 45 000 bénévoles et 16 000 prestataires – s’assureront que les myriades de flux logistiques des Jeux soient aussi fluides que la Seine. Plus de huit millions de billets ont déjà été vendus et quelque deux millions de spectateurs arriveront bientôt à Paris. Outre les 20 000 journalistes et représentants des médias couvrant les Jeux, des observateurs de choix assisteront aux festivités : les contingents de Los Angeles 2028 et de Brisbane 2032 – les prochains hôtes des Jeux Olympiques – et leurs homologues des Jeux d’hiver de Milano Cortina 2026, ainsi que les Alpes françaises et Salt Lake City, ces deux derniers étant pressentis pour 2030 et 2034. L’avenir de l’héritage de Coubertin se joue déjà aujourd’hui.
Plus important encore, l’actualité et l’adaptabilité de ses idées permettent à chaque édition des Jeux Olympiques de refléter d’une certaine manière la mutation de la société et les enjeux les plus importants du moment. Cela n’a jamais été aussi vrai qu’aujourd’hui dans la ville natale de Coubertin, Paris. Les 5 250 olympiennes qui devraient y participer – et qui verront pour la première fois une parité parfaite avec leurs homologues masculins – symbolisent le succès d’un combat séculaire pour les droits des femmes dans tous les domaines. L’équipe olympique des réfugiés, composée de 36 athlètes chassés de chez eux par des crises naturelles et humaines, mais qui sont néanmoins parvenus à se qualifier pour les Jeux Olympiques, permet de braquer les projecteurs sur les injustices dont souffrent des millions de personnes dans le monde. Et alors que la guerre entre dans sa troisième année suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ainsi que les autres conflits armés en cours, le combat du Mouvement olympique pour la paix est plus important que jamais.
Les Jeux de Coubertin ne représentent pas seulement la plus grande célébration de l’humanité : ils servent également de prisme pour chaque thème qui nous divise et menace cette unité, chaque dissension dans le débat mondial. Le progrès social, les conflits culturels et les différences politiques animent les Jeux et les transforment en une plateforme mondiale d’échange, ce qui leur offre la pertinence dont Pierre de Coubertin a toujours rêvé.
Paris 2024 démontrera une nouvelle fois que Coubertin a créé le mouvement international le plus prospère de notre temps. Malgré ses défauts et les critiques qu’il suscite, le Mouvement olympique est un phénomène irremplaçable et d’une valeur immense pour notre monde. Il est devenu une initiative quadriennale pesant 7 milliards de dollars US, qui mobilise des empires médiatiques et des partenaires commerciaux du monde entier et au sein des pays hôtes.
Le Mouvement olympique s’est développé au-delà de ce que Coubertin aurait pu prévoir ; pourtant, il conserve en son âme les valeurs d’amitié, d’excellence et de respect que le baron a instillé au cœur de l’Olympisme. La mission essentielle dénie par son fondateur d’unir le monde dans l’amitié et la paix grâce au sport reste au cœur du Mouvement.
La question se pose : comment est-il possible qu’un homme qui a tout sacrifié pour intégrer le Mouvement olympique durablement au sein de la culture mondiale ait pu être autant oublié ? On pourrait l’attribuer aux circonstances de l’époque.
S’il a gagné une grande visibilité sur la scène internationale lorsqu’il a présidé ses derniers Jeux Olympiques à Paris en 1924, Coubertin est progressivement retombé dans l’oubli après sa retraite. Il avait épuisé sa fortune familiale pour faire la promotion des Jeux et, au moment de son décès le 2 septembre 1937 lors d’une balade solitaire dans un parc de Genève, il avait été largement oublié en dehors des murs du siège olympique de Lausanne.
Quelques nécrologies et cérémonies ont bien salué son héritage, mais la montée des conflits en Europe, puis la Seconde Guerre mondiale, ont enterré son souvenir.
Les tentatives de ressusciter son histoire en France se sont heurtées aux critiques d’un certain nombre d’historiens et de journalistes qui ont souligné son opposition initiale à la participation des femmes aux Jeux, ou son refus de dénoncer les hôtes nazis des Jeux de Berlin 1936. Si des voix se sont élevées pour prendre sa défense, Coubertin est resté largement dans l’oubli.
Malgré son anonymat, Pierre de Coubertin sera forcément célébré pour son génie dans sa ville natale cet été. Alors que Paris hissera les Jeux vers des niveaux d’excellence inédits, ce ne sera sans doute qu’une question de temps avant que le poids de l’héritage de Coubertin n’attire inévitablement les esprits sur la genèse de la création de cette contribution grandiose à la vie moderne.
George Hirthler est un écrivain américain, auteur de The Idealist (L’idéaliste), un roman historique qui relate la vie et l’histoire du baron Pierre de Coubertin. Il a reçu la médaille Pierre de Coubertin en 2022.
Publié dans la Revue olympique 122